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mardi 7 janvier 2020

Les orthophonistes invisibles



La FNO, seul syndicat représentatif des orthophonistes français, a publié hier une vidéo très intéressante sur sa politique face à la réforme des retraites en cours :

https://vimeo.com/383083171


Le titre était prometteur :

"Réforme des retraites : Quelles actions pour la protection des orthophonistes"

En cette période où beaucoup de gens ont le sentiment que tout va à vau-l'eau, la demande de protection l'emporte partout sur l'esprit de conquête. C'est bien triste. Nous devenons un peuple timoré, qui a besoin de lignes Maginot. Les politiques l'ont bien compris : l'Etat et l'Europe sont censés nous protéger de la mondialisation, qui serait mauvaise par essence.


Cette fois, c'est la FNO qui dit qu'elle agit pour notre protection. Alors regardons dans le détail ce qu'elle nous annonce.


Elle commence par rappeler qu'elle nous protège, tout en défendant la solidarité nationale. Rappelons que la CARPIMKO se montre déjà très solidaire : sur le régime de base, 57 % de nos cotisations partent à la CNAVPL ! Seuls les 43 % restants sont utilisés pour les pensions des retraités paramédicaux et pour le fonctionnement de la CARPIMKO.

A 1 min 50, la vidéo affiche cette phrase a priori encourageante :

Sous cette phrase, il y a malheureusement l'acceptation du principe de base : notre montée à 28 %. Une fuite en avant dans la retraite par répartition, qui n'est qu'une pyramide de Ponzi (voir cet article qui reste d'actualité 11 ans après).

Nous fuyons donc, pour autant que ce soient les autres qui paient.

Mais qui va payer cette fuite en avant ?

L'Assurance Maladie, grâce à une baisse de la CSG :


Tout le raisonnement rassurant de cette vidéo est dans la barre verte : au total, nous ne paierons pas plus. Nous serons même gagnants en impôt sur le revenu. L'Assurance maladie qui nous fait vivre y perdra des plumes, mais ça n'émeut pas grand-monde.

Ce qui émeut la directrice de la CARPIMKO (cf son édito du mois dernier), en revanche, c'est la non pérennité de cette baisse de la CSG. Elle n'a pas tort : les gouvernements adorent jouer avec la fiscalité. D'ici quelques années, on pourra nous réduire l'abattement de l'assiette, ou augmenter le taux de la CSG, voire les deux. 

Un futur gouvernement "progressiste" pourra aussi nous expliquer qu'il est juste, équitable et solidaire de transformer la CSG en impôt progressif. Cette idée redoutable est dans l'air depuis des années. Plus vous travaillerez, plus le taux de la CSG sera important. L'équité, chez nous, c'est plus souvent le découragement organisé que l'égalité des chances.

Autre gros problème dans cette vidéo : tout part de l'idée que nous serions déjà entre 18 et 20 %. La présidente de la FNO en conclut même que cette réforme nous "paraît favorable", dans ses voeux (voir ici).


Or, ça dépend. 


 J'ai tout de suite tiqué sur ces deux pourcentages. Ce matin, j'ai repris mon application de calcul de cotisations (voir ici pour Android et ici pour iPhone) et j'ai rempli ce petit tableau :



J'ai retiré les 670 € de régime invalidité décès, qui n'ont rien à voir avec la retraite et qu'on continuera à payer ensuite, en plus des 28 % de retraite.

On retrouve effectivement des pourcentages similaires à ceux qu'évoque la FNO dans les tranches basses de revenus (rappelons que l'assiette actuelle, c'est le bénéfice + les assurances Madelin). Mais ceux qui travaillent davantage cotisent moins, à l'heure actuelle. Pas en valeur absolue, évidemment, mais en pourcentage.

Ceux-là sont complètement invisibles dans la vidéo. Négligés. Abandonnés.

Comment les écarts actuels sont-ils possibles ?

Ils sont dus aux cotisations forfaitaires de la CARPIMKO. Rien que sur le régime complémentaire, elle nous a pris 1624 € l'an dernier, quels qu'aient été nos revenus. Alors évidemment, ceux qui travaillent davantage peuvent amoindrir le poids relatif de cette somme.

Mais c'est injuste, non ?



Non. La CARPIMKO nous force tous à constituer un socle incompressible de cotisations, et donc de pensions. Libre ensuite à ceux qui peuvent cotiser davantage de se fabriquer une retraite supplémentaire en épargnant. La création du plan d'épargne retraite (PER) est une bonne nouvelle, à cet égard.

Mais de toute manière, aucun orthophoniste ne peut avoir un bénéfice de 60000 ou 80000 €, si ?

C'est tout à fait faisable, sans devenir un margoulin. Prenons 80 000 €, par exemple. Dans cette zone de revenus, les charges fixes pèsent moins lourd. On peut les estimer à un tiers. Il faut donc que la recette soit à 120 000 €. Sur 45 semaines, ça représente 89 AMO 12. Très faisable en travaillant 5 jours et demi par semaine, avec des périodes à 110 actes et d'autres à 70. C'est d'ailleurs bon pour l'accès aux soins, même si la FNO a décidé que nous n'étions pas responsables de la pénurie.

Il est clair que peu d'orthophonistes atteignent ce type d'activité. Mais est-ce une raison pour les abandonner en rase campagne, en ne parlant que de ceux qui sont à 18 ou 20 % de CARPIMKO ? On oublie même ceux qui se trouvent à 40 000 ou 50 000. Faut-il se réfugier dans le bas de la classe moyenne pour mériter un peu d'attention ?

En définitive, on peut retenir plusieurs points de cette vidéo :
  • Nos représentants sont d'accord avec la fuite en avant dans la retraite par répartition, qui consiste à nous faire travailler de janvier à avril pour les retraités. Tous les ans. Et ensuite nous travaillerons pour l'URSSAF, le fisc, les collectivités locales. Puis un peu pour nous à la fin de l'année. Vu comme ça, ça donne envie...
  • Ils acceptent une compensation par la CSG qui affaiblit l'Assurance Maladie et qui pourra être démolie n'importe quand par la suite. Les avocats l'ont bien compris.
  • Ceux qui travaillent davantage sont abandonnés, dès à présent. On n'évoque même pas leur cas, on fait comme si tout le monde était à 18 ou 20 % de CARPIMKO. On va donc réduire leur revenu sans vergogne et sans remords.

Alors que faire ?


Nous sommes encore libres. Libres de changer de métier et/ou de pays (moins facile). Cette vidéo montre bien l'état d'esprit de ceux qui nous représentent. Rien ne pourra le changer. Les solutions sont donc individuelles, comme toujours. Il faudra faire ses calculs et mettre en balance tous les avantages de notre situation. 

Ce n'est pas qu'une vulgaire question d'argent. C'est aussi une question philosophique, finalement. Faudra-t-il accepter de faire toujours plus d'efforts pour les baby boomers qui ont si peu cotisé pendant leur carrière (voir cet article où je comparais 1990 et 2015) ? Et faudra-t-il rester dans un pays timoré qui (dys)fonctionne de cette manière ?

Si le fait d'être orthophoniste et de vivre en France reste incontournable, il faudra accepter la nouvelle situation sans râler. Et s'y adapter. Ce sera notre choix.

Sinon, il faudra en tirer les conséquences.

3 commentaires:

Le Para a dit…

Excellent article, comme toujours.
Je retiens qu’à 13% environ de charges, on perdra environ 5% de revenus. Pénible mais acceptable si on doit faire des efforts pour la collectivité ; on est loin de la fermeture des cabinets sauf pour ceux qui travaillent très peu. C’est un choix...

Anonyme a dit…

Excellentissime. Merci pour tout ce sourcing et cette plume. Guillaume, on a déjà dû te dire que tu pourrais être tellement pertinent dans les négociations avec le gouvernement....Merci encore.

Guillaume a dit…

@Le Para : effectivement, si la baisse de la CSG tient longtemps, on aura juste eu une hausse de charges, mais pas un tsunami.

@Anonyme : oui, on me le dit souvent, ces temps-ci ;-)
Mais bon, mes convictions sont trop déviantes. Jamais on ne m'enverrait négocier.